La femme Rykiel n’est plus, le monde de la mode est en deuil. La couturière Sonia Rykiel est morte à 86 ans a annoncé sobrement sa famille en milieu de matinée. « Ma mère est décédée cette nuit à Paris, chez elle, à 5 heures du matin, des suites de la maladie de Parkinson », a ainsi déclaré Nathalie Rykiel, présidente de la Maison éponyme jusqu’en 2012. La présidence de la République a salué la femme « Passionnée de culture, elle ne concevait pas la mode sans les arts qui étaient toujours présents dans ses créations. Son style est connu du monde entier. Il demeurera comme le symbole de l’alliance remarquable de la couleur et du naturel, de la fluidité et de la lumière ». « Elle a inventé non seulement une mode, mais aussi une attitude, une façon de vivre et d’être, et offert aux femmes une liberté de mouvement », a poursuivi le président dans un communiqué.
Son style inéluctablement parisien estampillé Rive Gauche révolutionne les codes et sonne comme une ode à la féminité libérée, sans contraintes ni diktats. Avec l’annonce de cette disparition, c’est comme si un bout de 68 s’envolait à nouveau, tant son style sentait le souffle de la libération de la femme.
Crinière incendiaire et look androgyne, la reine du Tricot (intronisée en 1970 par le magazine américain Women’s Wear Daily) fut à l’origine d’un mouvement et à l’initiative d’un style chic et ultra-décontracté. La créatrice de mode qui prétendait avoir saupoudré la Tour Eiffel de strass, avait défini une envolée vers des valeurs, elle qui arguait que : « l’élégance n’est pas une question de luxe, de richesse mais d’attitude ».
De ses mailles chatoyantes, ses robes sans ourlet, ses pulls portés à l’envers, ses joggings en velours éponge, Sonia Rykiel imaginait une garde-robe sexy et nonchalante magnifiant aussi bien « la femme-plaisir, la femme-travail, la femme-pouvoir et la femme-désir ».
Aliénée à aucunes injonctions, la lionne de la mode avait fait de ses défilés des spectacles où les mannequins tout sourire se complaisaient sur le podium à célébrer la vie comme « une ribambelle de sœurs, avec quelque chose de très joyeux, et cela reflète sa vie », avait relevé son amie, la photographe Dominique Isserman dans le magazine Elle.
Pourtant rien ne prédestinait cette jeune fille d’une famille bourgeoise à embrasser cet univers. Sonia Flis, de son nom de jeune fille, naît à Paris le 25 mai 1930. Aînée de cinq filles d’une famille d’origine juive roumaine et russe, elle avait l’ambition d’avoir 10 enfants. Mariée en 1954 à Sam Rykiel possédant une boutique de prêt-à-porter à Paris, elle se fait tricoter un petit pull moulant qu’elle porte en version étriquée. L’aventure féerique est lancée, la génétique du chic aussi ! Une amie, journaliste de mode, s’empare du modèle et publie en couverture de Elle, la photo du Poor Boy Sweater. Très vite le petit pull devient le best-seller de la boutique de son époux. Audrey Hepburn, Françoise Hardy en font un «must have» et ses créations libres frôlant l’insolence séduisent Catherine Deneuve, Jacqueline Onassis ou Lauren Bacall. Comme un souffle symbolique, elle inaugure sa première boutique en 1968 à Saint-Germain-des-Prés et lance sa première collection de prêt-à-porter.
Sa liberté de ton fait mouche, elle qui prône la démode et l’émancipation des femmes. De nouveaux challenges s’offrent à celle qui sera en 1973 vice-présidente de la Chambre syndicale du prêt-à-porter. Puis précurseuse de la tendance masstige (comprendre la commercialisation de produits de luxe et/ou hauts de gamme à des prix anormalement bas et donc plus accessibles à la masse des consommateurs), elle est la première à dessiner des modèles pour le catalogue de vente par correspondance Les Trois Suisses, en 1977. A l’approche des années 80, l’entreprise se diversifie (ligne bis, parfums, ligne enfant et masculine, accessoires et chaussures).
Férue d’art, de mode et de littérature et proche de nombreux artistes tels que Andy Warhol qui lui dédie un portrait en 1985 ou encore César, avec qui elle imagine le bar de l’Hôtel Crillon, Sonia Rykiel révèle en 2012 dans un livre coécrit avec la journaliste Judith Perrignon, N’oubliez pas que je joue, qu’elle est atteinte depuis 15 ans de la maladie de Parkinson (un p de P comme elle l’appelle « putain de Parkinson »).
Si elle a destiné sa vie à sa griffe (devenue en 2012 propriété du chinois Fung Brands), la flamboyante matriarche de la mode vouait son premier culte à sa famille : ses enfants Nathalie et Jean-Philippe et ses petits-enfants.
Si Sonia Rykiel n’est plus, son ardente envie de changer la mode pour les femmes, lui reste éternel…
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